Dans My Book Box d’Avril, le premier roman choisi pour le thème “A la guerre comme à la guerre” était le somptueux roman noir d’Hervé Le Corre, “Après la guerre”, publié aux éditions Rivages. Ce dernier a accepté de répondre à nos questions, et l’interview a été glissée dans la box pour nos abonnés 🙂
MBB : Pourquoi avoir choisi le prisme du roman noir pour aborder une intrigue dans laquelle l’Histoire a tant d’importance ?
HLC : Parce que le roman noir est d’abord le roman qui dit la violence du monde, qu’elle soit criminelle, sociale, voire symbolique, et des combats – souvent désespérés – que livrent pour s’en défendre les personnages. Du coup, l’Histoire étant pleine de cette violence, le roman noir me semble la forme adéquate pour y situer une intrigue et faire se confronter les destins individuels aux tragédies collectives.
Vous avez choisi de situer l’intrigue d’Après la guerre, comme celle de la plupart de vos livres, à Bordeaux ; vous êtes né dans cette ville. En quoi est-elle le parfait décor de vos romans ?
C’est la ville que je connais le moins mal, y étant né, y ayant grandi puis travaillé. Elle est un décor comme pourrait l’être toute autre ville : avec son histoire, ses personnages et personnalités, ses drames passés ou contemporains.
Entre deux guerres – la 2ème guerre mondiale et celle d’Algérie – vos personnages survivent au passé ou essaient d’échapper à leur sort…souvent en vain. Avez-vous une vision fataliste de l’Histoire et de l’être humain ?
Je ne conçois aucun fatalisme. Je reste persuadé que rien n’est écrit ( pour un roman, c’est la moindre des choses…), ni inscrit d’avance. Les hommes luttent, ont lutté, partout, de tout temps, pour transformer leur vie, l’améliorer, faire en sorte que leurs enfants aient un avenir heureux. Que ces combats soient individuels ou collectifs, il reste que parfois le cours de l’Histoire impose aux gens des contraintes, des malheurs contre lesquels ils ne peuvent pas grand-chose. Mes personnages, dans ce roman, se battent pour tenir debout, pour vaincre les bourreaux, pour sauvegarder leur dignité et, me semble-t-il, ils y parviennent, fût-ce au péril de leur vie, d’où l’aspect tragique de ce récit.
La guerre d’Algérie a longtemps été absente de la création littéraire et cinématographique française alors qu’elle a durablement marqué – et la marque encore – la société française. Est-ce une des raisons pour laquelle vous avez voulu vous emparer de cette période dans Après la guerre ?
Oui, bien sûr. Parce qu’il me semble évident que certaines fractures, certaines tensions de la société française aujourd’hui (racisme, relégation sociale, problèmes d’identité, d’intégration) proviennent en grande partie du traumatisme provoqué par cette guerre. De nombreux jeunes Français l’ont faite, souvent traumatisés par ce qu’ils ont vu, vécu, souffert, commis. De trop nombreux jeunes hommes y sont morts, y ont été blessés, et l’onde de choc dans la société française a été extrêmement violente. Pour ne rien dire de la société algérienne qui eut à souffrir de la colonisation et de cette guerre de décolonisation (n’oublions pas le nombre bien plus important de victimes algériennes). Et la violence, les atrocités commises de part et d’autre ont été telles que la mémoire en reste marquée, par-delà les générations.
Vous avez été professeur et vous êtes donc bien placé pour observer cette jeunesse qui, dit-on, n’a plus le goût de lire. Qu’en pensez-vous ? Que leur proposez-vous ?
Je suis retraité depuis quelques mois, mais l’enseignement a été mon vrai métier et ma passion pendant près de quarante ans. En effet, les ados auxquels j’avais affaire lisaient peu, en général, voire pas du tout, pour une minorité. Tout le problème était (et demeure…) de leur faire des offres de lectures qui épousent tout l’éventail de la production littéraire (essentiellement romanesque) : classiques du patrimoine, grands romans traduits, aventures, science-fiction, fantasy, fantastique, polars… Leur (re)donner le goût de se laisser raconter une histoire par un narrateur muet dont la voix s’entend dès qu’on ouvre un livre. Leur raconter une histoire, les mettre en appétit, aiguiser leur curiosité, un peu comme Daniel Pennac le recommande dans son livre « Comme un roman », c’est ce que j’ai fait, beaucoup. Et j’avoue humblement que ça ne marchait pas si mal !
Après la guerre est le premier choix de My Book Box « A la guerre comme à la guerre » et s’y trouve en compagnie de Tim O’Brien (Les choses qu’ils emportaient) et de Louis Calaferte (C’est la guerre). Quel(s) roman(s) ou film(s) abordant ce thème ont-ils influencé votre vie de lecteur et d’écrivain ?
J’ai lu le livre de Tim O’Brien, qui est bouleversant, puissant. J’ai beaucoup lu les romanciers américains comme Willam March (Compagnie K), situé pendant la 1ére Guerre mondiale, Norman Mailer (Le nus et les morts) à propos de la guerre de Corée, Kent Anderson (Sympathy for the devil) à propos du Vietnam, Kevin Powers (Yellow birds) sur l’Irak, et bien d’autres encore…